Bloody Sunday

Aujourd’hui c’est le 39ème anniversaire du massacre du 30 janvier 1972 à Derry, lorsque les paras britanniques volèrent quatorze vies, réprimant dans le sang une manifestation de l’Association pour les Droits civiques.

Un peu d’histoire...

De la Russie au Canada et de l’Europe à l’Afrique du Sud, plusieurs Dimanches Sanglants ont plus ou moins marqué les mémoires et l’histoire. Quatre d’entre eux ont concerné la question irlandaise. Le dernier en date, espérons que ce soit définitif, est le plus connu : le massacre de quatorze manifestants pacifiques à Derry par les paras de la british army le 30 janvier 1972. L’épisode qui inaugura cette triste série n’eut pas lieu sur le sol d’Erin, mais à Londres le 13 novembre 1887. Là aussi, une manifestation dégénéra en bain de sang.

Bloody Sunday in London, 13 nov 1887

C’était pourtant avant que la violence ne soit perçue comme un moyen d’action politique dans cette île au statut de colonie. C’était en effet le temps des luttes parlementaires légalistes qui visaient à établir en Irlande le Home Rule, c’est-à-dire un gouvernement autonome, et que menait avant tout la bourgeoisie, notamment protestante. Une première tentative de Home Rule avait échoué en 1886, malgré le soutien de William Gladstone, Prime Miniter libéral allié aux Irlandais. Cet échec avait mis un terme abrupt au troisième des quatres mandats du leader du Parti Libéral, et rendu le pouvoir à des Tories dont l’intransigeance rendait la situation politique pour le moins explosive. En réaction à ces velléités d’émancipation constitutionnelles, et aux troubles qui avaient repris dans les campagnes irlandaises, le gouvernement conservateur dirigé par Salisbury avait adopté les Coercion Acts qui restreignaient les libertés et droits civiques. A Londres, la situation sociale était également agitée, et l’on ne comptait plus les manifestations d’ouvriers et de chômeurs. Les quartiers de l’aristocratie étaient même devenus la cible privilégiée de ces protestations, qui se terminaient le plus souvent en heurts avec la police. Les mouvements socialistes florissaient subitement, et leurs inspirateurs dressaient un parallèle entre leurs propres combats et la cause irlandaise. En ce dimanche 13 novembre, la Social Democratic Federation dont faisait partie la militante d’origine irlandaise Annie Besant et l’Irish National League s’unirent donc pour organiser une nouvelle manifestation pour réclamer l’abrogation des Coercion Acts en Irlande, ainsi que la libération du député William O’Brien qui avait été emprisonné en septembre de la même année pour incitation à la rébellion à la suite de la grève des loyers qu’il avait organisée à Michelstown, dans le comté de Cork. Celle-ci s’était terminée par un rassemblement de huit milles personnes au cours duquel trois fermiers furent tués par les forces de l’ordre. De nombreuses personnalités, comme le célèbre dramaturge George Bernard Shaw, un Irlandais qui croquait à merveille la société anglaise, avaient donc appelé à cette manifestation, et elle promettait d’être un succès. Plus de dix mille personnes, hommes, femmes et enfants, marchèrent ainsi en direction de Trafalgar Square, là où deux mille policiers et près de quatre cents soldats les attendaient. Et entreprirent rapidement de mater les protestataires à coup de matraques et de poings. Plusieurs centaines d’entre eux furent blessés, certaines gravement et l’on devait officiellement recenser quatre tués. Le total est sans doute supérieur, mais les familles de certaines victimes avaient préféré éviter d’afficher tout lien avec la manifestation, de peur de représailles. Les forces de l’ordre n’avaient heureusement pas reçu l’ordre d’ouvrir le feu sur la foule. Cependant, cette répression modérée ne parvint à étouffer la contestation, bien que les média de l’époque devaient vite préférer remettre le focus sur les faits divers qui survenaient dans les quartiers pauvres de l’East End, comme les meurtres de Jack L’Eventreur. Au contraire, ce premier Bloody Sunday est devenu rapidement un symbole des luttes syndicales et socialistes au Royaume-Uni, mieux, un événement fondateur qui allait déboucher sur une série de grèves en 1888 et 1889.

21 novembre 1920, dimanche sanglant à Croke Park

En novembre 1920, cela faisait presque deux ans que la Guerre d’Indépendance Irlandaise avait commencé. Elle avait été déclenchée par la Forógra na Saoirse, la déclaration unilatérale d’indépendance rédigée en gaélique, en anglais et aussi en français que le premier Dáil Éireann, parlement auto-proclamé, avait approuvée le 21 janvier 1919. Jusquau printemps 1920, le conflit n’était pas des plus violents. Les nationalistes irlandais pratiquaient par exemple le boycott des membres de la Royal Irish Constabulary (RIC), et mettaient progressivement en place les structures de leur propre état en parallèle de l’administration coloniale. Les ouvriers irlandais refusaient également de collaborer avec cette dernière, comme les dockers de Dublin qui refusaient de décharger le matériel de guerre du pouvoir anglais. Le nouveau pouvoir avait pris le contrôle des campagnes, au point que le Trésor de la couronne avait cessé de lever le moindre impôt dans la plus grande partie de l’Irlande. Mais tout bascula lorsque le gouvernement de Londres décida de reprendre la situation en main par la force, en s’appuyant notamment sur deux nouvelles unités paramilitaires : les Black & Tans, forte de 7.000 vétérans anglais et écossais de la Première Guerre Mondiale dont la maxime n’était pas qu’elle dût être la Der des Ders ; et l’Auxiliary Division, moins connue mais tout aussi féroce, qui comprenait plus de 2000 anciens officiers de l’armée britannique. L’assassinat du maire de Cork Tomás Mac Curtain devant femme et enfants en mars 1920 par des hommes masqués venus du poste de police voisin donna le signal de la répression du mouvement indépendantiste, tel qu’on peut le voir dans Le Vent se lève, le film de Ken Loach primé à Cannes en 2006. Trim, Balbriggan, Templemore, autant de petites villes mises à sac et incendiées par les Black & Tans et les Auxiliaires en représailles ou non des différentes actions menées par une Irish Republican Army (IRA) développant l’art nouveau de la guérilla. Durant l’été, le gouvernement de Londres décida de substituer à la justice civile des cours martiales pouvant disposer de la peine capitale et de l’internement sans procès à leur guise. Ce recours résolu à la manière forte masquait mal le désarroi qui grandissait chez l’occupant, et sa faiblesse face à un mouvement indépendantiste radical devenu populaire comme personne de l’aurait imaginé cinq ans plus tôt. Les représailles brutales renforçaient les Républicains, surtout lorsqu’elles contenaient une forte teneur symbolique. Ainsi à la fin octobre, après plus de deux mois de grève de la faim, le nouveau maire de Cork Terence McSwiney mourut dans la prison de Brixton après avoir été condamné à deux ans de réclusion pour une prétendue possession de documents séditieux. Et le 1er novembre, Kevin Barry devint le premier Républicain passé par les armes depuis les exécutions des leaders des Pâques Sanglantes de 1916. Pour Michael Collins, Ministre des Finances du gouvernement irlandais et Directeur des services de renseignement de l’IRA, le temps était venu de frapper un grand coup, et d’abattre notamment le Cairo Gang, un groupe d’agents secrets britanniques opérant à Dublin. L’objectif de l’action était moins de venger McSwiney et Barry que d’empêcher cette unité de menacer l’IRA dans la capitale de l’île. Le dimanche 21 novembre au matin, les commandos de l’IRA qui prendraient le surnom des Douze Apôtres, et comprenaient notamment un futur Taoiseach des années 1960, Seán Lemass, se promenèrent tranquillement dans Dublin pour aller cueillir les cibles à leur domicile. On dénombra quatorze morts et six blessés, et un seul “apôtre” fut arrêté. On imagine bien la fureur des autorités coloniales et de ses forces armées. La nouvelle de l’audacieuse opération de Michael Collins s’était répandue dans la ville, mais cela n’avait pas empêché cinq milles Dublinois habitués à cette situation de guérilla à rallier Croke Park pour un match de football gaélique qui opposait Dublin à Tipperary. Les avis des historiens divergent à partir de ce moment. Pour les uns, le massacre de Croke Park qui suivit l’après-midi fut préméditée en guise de représailles. Pour d’autres, la RIC et les Blacks & Tans pénétrèrent dans le stade pour fouiller le public, à la recherche d’armes, et auraient ouvert le feu en riposte à des tirs venus des gradins. Pas la peine de préciser que cette deuxième version est celle de Londres, et qu’elle servirait à nouveau pour le Bloody Sunday de 1972. Elle fut raillée par le Times qui était pourtant le chantre de l’unionisme ! Pour la plupart des historiens, si le massacre n’était sans doute pas planifié, la décision de venir s’en prendre au public d’un sport fortement lié au mouvement indépendantiste n’était sûrement pas due au hasard. RIC et supplétifs encerclèrent le stade, et notamment la tribune principale. Les premiers coups de feu ne tardèrent pas, d’abord par un officier ayant franchi le mur de l’enceinte. La foule croyait d’abord à des tirs à blanc, mais la panique se fit instantanée lorsque la mitrailleuse lourde entra en action. Contrairement à la scène reproduite dans le film consacré à Michael Collins, le véhicule blindé ne pénétra pas sur la pelouse pour tirer dans la foule, mais resta en dehors de Croke Park, tirant probablement depuis l’extérieur. L’officier en charge de l’opération devait par la suite reconnaître que ses hommes étaient sur-excités et semblaient prendre à tirer sur les civils qui tentaient de fuir, pris entre deux feux, car d’autres soldats les canardaient depuis le dehors. Le bilan s’éleva à quatorze morts, dont un joueur de Tipperary, Michael Hogan. Un jeune de homme de Wexford fut tué alors qu’il tentait de lui prononcer l’acte de contrition. Le corps d’un gamin de quatorze ans fut retrouvé, massacré à la baïonnette. Dans la soirée, deux officiers de l’IRA ayant participé à la planification de l’exécution du Cairo Gang seraient capturés, torturés et tués alors qu’ils tentaient de s’évader alors qu’ils avaient été laissés sans surveillance dans une salle de la prison la mieux gardée ! Cela prouve que les Anglais et leurs sbires pouvaient agir contre leur ennemi sans s’en prendre à une population qui n’avait jamais été particulièrement sensible aux mouvements révolutionnaires radicaux. Pas un des spectateurs de Croke Park ne serait non plus suspecté d’être impliquée dans l’action de Michael Collins. Ce nouveau Bloody Sunday allait renforcer le soutien populaire au gouvernement d’Éamon de Valera. Dix-huit mois plus tard, le gouvernement britannique avait reconstitué son réseau d’espions à Dublin, et l’IRA planifiait une nouvelle opération similaire lorsque la trêve fut déclaré le 11 juillet 1921. Plus tard, la Gaelic Athletic Association (GAA) donnerait le nom de Hogan Stand à une tribune de ce stade entré tragiquement dans l’histoire irlandaise.

30 Janvier 1972, Derry

C’est aujourd’hui le trente-neuvième anniversaire du massacre du 30 janvier 1972 à Derry, lorsque les paras britanniques volèrent quatorze vies, réprimant dans le sang une manifestation de l’Association pour les Droits civiques. En 1998, la Commission Saville fut mandatée pour faire la lumière sur cet épisode symbolique. C’était dans le cadre du Good Friday Agreement, mais après plus dix ans, son rapport se fait toujours attendre, malgré les millions dépensés (on parle de plus de £150m maintenant). Le gouvernement britannique a sans surprise failli a sa parole, le Ministère de la Défense étant accusé par de nombreux observateurs de faire obstruction à la justice. Pouvait-on attendre autre chose de la part d’une autorité directement impliquée dans les plus sombres heures des Troubles dans le Nord de l’Irlande ? Pouvait-on attendre autre chose de la part d’un ancien Prime Minister préférant les effets d’annonce au respect de ses propres engagements ? Il y a 5 ans, on espérait encore pouvoir lire les conclusions de la commission Saville avant la fin de l’année. Désormais, aucune date n’est avancée. De toute manière, personne n’y croirait. Et plus grand monde n’en attend grand chose. Dépenser plus de deux cent millions pour enliser un dossier symboliquement fort était inutile. La reconnaissance par l’Armée Britannique de ses torts et des excuses du gouvernement britannique auraient sans doute suffit. Mais cela a sans doute plus de prix encore aux yeux des auorités de l’UK.
R.I.P. Phil O’Donnell
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