Depuis vingt ans en Ecosse, c’est toujours la même chose. On se dit que la domination des Géants de Glasgow, Rangers et Celtic, a trop duré. On se réjouit du bon début de saison d’un club de Edimbourg, de Dundee ou Aberdeen, puis lorsqu’arrive l’hiver, les premières piles commencent à lâcher et seuls les lapins de Glasgow continuent de jouer du tambour. En ce début de saison, Heart of Midlothian s’est montré supérieur aux Rangers et à traité d’égal à égal avec le Celtic. Mais des têtes ont enflé à Edimbourg et le club est aujourd’hui miné de l’intérieur par la mégalomanie de son patron, un richissime lituanien faisant fi de l’expérience des hommes de terrain pour imposer un diktat suicidaire. Le Celtic a donc repris les commandes de la SPL, et les Rangers, encore un peu à la traîne, ne devraient pas tarder, sauf crise prolongée, à revenir. Du coup, le 369ème Old Firm [1] est toujours le match au sommet de la Scottish Premier League. La rivalité des deux clubs de Glasgow revient au premier plan et avec elle, son histoire et les questions de son avenir.
Le championnat écossais est écrasé depuis toujours ou presque par les rivaux de Glasgow. A tel point qu’un projet des plus sérieux circule avec insistance dans les coulisses, celui d’intégrer les deux monstres dans la Premier League Anglaise. L’idée excite les imaginations, mais suscite des avis très divers. Au sein de chacun des deux clubs concernés, on estime l’aventure à double tranchant. Bien sûr, les droits TV de la Premier League sont tels qu’il serait plus rentable d’affronter chaque week-end Birmingham ou Portsmouth plutôt que Dundee et Hearts. A contrario, Celtic et Rangers n’auront plus au sein du championnat anglais la quasi-certitude de se qualifier pour les Coupes européennes, elles aussi génératrices de rentrées d’argent.
La Ligue des Champions, toutefois, n’est plus aujourd’hui le jackpot assuré. Les performances récentes des clubs écossais contraignent aujourd’hui les champions à passer par les tours préliminaires. Et le Celtic cette saison a fait l’amère expérience de ces matches au couteau qui surviennent trop tôt dans la saison [2]. Le calcul des coéfficients UEFA favorisant les clubs des championnats les plus côtés, le foot écossais se retrouve sur la mauvaise pente et il est probable qu’à l’avenir, il n’y aura plus qu’un seul club convié aux préliminaires de la Ligue des Champions.
Du coté des autres clubs d’Ecosse, l’idée d’envoyer les clubs de Glasgow en Premier League reçoit également des échos partagés : Bien sûr, la réception des ogres permet d’équilibrer les budgets, mais en contrepartie, ils obstruent toute ambition européenne. Ainsi certains seconds couteaux ne seraient pas fâchés de pouvoir goûter un jour à la Champion’s League. Pour les dirigeants de la Scottish League par contre, pas question de laisser partir les deux mamelles qui nourrissent son épreuve phare. Les matches du Celtic se vendent bien, du fait des nombreux supporters disséminées un peu partout sur l’orange bleue, et le Old Firm est toujours réclamé par toutes les télévisions du monde. Que deviendrait la SPL privée de ses deux mastodontes ? Une D2 du championnat anglais ? Un championnat sous-évalué dominé par un ou deux clubs qui, à force de l’emporter tous les ans, demanderaient à leur tour d’intégrer la Premier League ?
Coté anglais, on exclue pas de faire un peu de place aux clubs de Glasgow. Si ceux-ci tiennent leur rang et sont susceptibles de mettre la pagaille dans le haut du classement, cela pimenterait considérablement la Premier League. Les télévisions anglaises se montrent même impatientes, avant que le prestige et le niveau de ces deux clubs ne se dégradent pour de bon.
Une autre voix d’importance s’oppose catégoriquement au projet, celle de l’Union Europenne de Football. Soucieuse de la clarté des épreuves qui se déroulent sur la vieille Europe, l’institution n’aime guère voir les clubs choisir leurs championnats. On l’a vu avec les clubs gallois, sur lesquels elle fait pression pour que ceux-ci participent à une Welsh Premier League qu’elle a quasiment créé elle-même en 1992. Le "transfert" du Celtic et des Rangers pourrait donner des idées à d’autres, comme ces Ajax, Anderlecht, Göteborg, Porto et autres Rosenborg, dont les championnats respectifs s’appauvrissent financièrement. Certains d’entre eux ont même proposé de créer une sorte de super-Ligue réunissant ces "grands clubs de pays moyens", projet auquel les clubs de Glasgow n’ont pas non plus fait la sourde oreille.
Rejoindre la Premier League ne manque donc pas d’intérêt sur le plan financier. Mais le projet se heurte également à un point plus important qu’il n’y paraît : L’Ecossais supportera-t-il l’idée d’être absorbé par l’Anglais ? La question est très sensible. L’Ecosse depuis toujours tient à son autonomie, et si celle-ci ne peut être politique, elle doit demeurer en l’état dans ce qui touche au football. On l’a bien vu récemment avec le projet de créer une équipe nationale de Grande Bretagne pour les JO 2012 [3]. Acceptée par l’Irlande du Nord et le Pays de Galles, l’idée a fait grincer bien des dents du coté de l’Ecosse. "Quand j’étais petit, mon but était de jouer pour l’Ecosse. Nous rêvions de battre les Anglais, pas de jouer dans la même équipe qu’eux." a déclaré l’ancien international Gordon McQueen, un argument qui se suffit à lui-même.
Le débat est donc loin d’être clos. Certes, la question d’intégrer le Celtic et les Rangers en Angleterre est avant tout financière, mais du point de vue écossais, elle touche également l’orgueil national. Reste à espérer que des clubs comme Heart ou Hibernian maintiennent leurs performances actuelles, qu’Aberdeen et Dundee United retrouvent le goût de l’ambition, et que Gretna, pourquoi pas, confirme ses promesses au plus haut niveau. Le championnat écossais retrouverait alors toute sa vigueur, et atténuerait les désirs d’infidélité des deux Géants de Glasgow.
P.-S.
[1] 147 victoires pour les Rangers, 131 pour le Celtic (Ne sont comptabilisées que les rencontres de championnat, de League Cup et de Scottish Cup)
[2] Battu au deuxième tour préliminaire de la Ligue des Champions 2005-2006, le Celtic s’est retrouvé éliminé de toute compétition européenne, ce qui a considérablement dévalué son budget.
[3] Les textes de la FIFA étant différents de ceux du CIO, et ces derniers spécifiant clairement que les pays participants aux Jeux doivent être reconnus par l’ONU, les équipes d’Angleterre, d’Ecosse, du Pays de Galles et d’Irlande du Nord n’ont jamais pu participer aux JO.