Triomphe et tragédie à Cardiff

Il y a vingt-trois ans aujourd’hui, l’Écosse remportait un succès historique qui aurait dû faire le bonheur de tous ses supporters. Au lieu de cela, les événements survenus à Ninian Park (Cardiff) ont donné le coup d’envoi d’une véritable période de deuil national. Pendant plus de deux décennies, Jock Stein avait incarné à lui seul cette Ecosse conquérante, capable de triompher de tous les adversaires placés sur sa route. Dans les années 60, les clubs écossais et la sélection nationale enchaînent les succès. En remportant la Coupe d’Europe 1967 à la tête d’une équipe entièrement composée de joueurs nés dans un rayon de 50 kilomètres autour de Celtic Park, cet ancien mineur a prouvé à ses compatriotes et au monde que rien n’était impossible en football. Ce sport qui lui avait tant offert allait pourtant tout lui reprendre un soir de septembre à Cardiff. Plus qu’aucune autre, cette soirée tragique a apporté un démenti cinglant à la célèbre sentence de Bill Shankly, l’un des plus proches amis de Stein, sur la vie, la mort et le football. 10 septembre 1985, Ninian Park, Cardiff Pays de Galles 1:1 Écosse Hughes (13’) pour le Pays de Galles ; Cooper (81’ sp) pour l’Écosse Pays de Galles : Southall, Jones, Van den Hauwe, Ratcliffe, Jackett, James (Lovell, 80’), Phillips, Nicholas, Thomas (Blackmore, 83’), Rush, Hughes Écosse : Leighton (Rough, 46’), Gough, Malpas, Aitken, McLeish, Miller, Nicol, Strachan (Cooper, 61’), Sharp, Bett, Speedie

A l’époque

En 1985, l’Ecosse fait partie des habitués de la phase finale de la Coupe du Monde de la FIFA. La Tartan Army reste alors sur trois qualifications consécutives, en 1974, 1978 et 1982. Lors de leur dernière participation à l’épreuve reine, les hommes de Jock Stein avaient d’ailleurs démontré un potentiel intéressant en frôlant la qualification pour le deuxième tour. Ils avaient finalement été devancés par l’URSS à la différence de buts. Pourtant, en arrivant à Cardiff, les Ecossais sont déjà tout près de l’élimination. Vainqueur au match aller à Hampden Park sur un but de l’inévitable Ian Rush, le Pays de Galles n’est plus qu’à deux points de la deuxième place. En terminant derrière l’Espagne, les coéquipiers de l’attaquant de Liverpool seraient alors assurés de disputer un match de barrage face au représentant de la Confédération Océanienne de Football (OFC). Privé de plusieurs de ses titulaires habituels, dont Kenny Dalglish, Steve Archibald, Alan Hansen et le capitaine Graeme Souness, Stein sait que son équipe a besoin d’un miracle pour s’imposer.

Le match

L’assistant de Stein, Sir Alex Ferguson, se souvient avoir remarqué la tension qui se lisait sur le visage de son mentor, à mesure que l’heure du coup d’envoi approchait. Les choses ne vont pas s’arranger pour le sélectionneur écossais puisque, dès la treizième minute, l’un des futurs protégés de Ferguson à Manchester United, un certain Mark Hughes, ouvre le score en faveur des Gallois. Pire encore, le gardien écossais Jim Leighton, peu à son avantage en première période, annonce à Stein à la pause qu’il a perdu l’un de ses verres de contact sur l’action qui a amené l’ouverture du score. Evidemment, il n’a pas de lentilles de rechange... Stein est donc contraint de faire entrer Alan Rough à la pause, ce qui limite ses options sur le plan tactique. Néanmoins, son discours énergique semble avoir remonté le moral des troupes. Les Ecossais reviennent sur le terrain avec d’autres intentions et obligent leurs adversaires à se replier en défense. A l’heure de jeu, l’ancien entraîneur du Celtic prend une décision courageuse en remplaçant Gordon Strachan par Davie Cooper. L’ailier des Rangers, talentueux mais inconstant, est donc chargé de trouver la clé qui ouvrira le coffre-fort gallois. Cooper justifiera la confiance placée en lui en transformant un penalty en faveur de l’Ecosse. Malgré la tension presque palpable, il place une frappe à ras de terre sur sa gauche et permet à son équipe de revenir au score à neuf minutes du terme de la partie. Toujours aussi nerveux, Stein passe les dernières minutes de la partie à houspiller les photographes qui se sont déjà massés autour du banc écossais en prévision des inévitables célébrations qui accompagneront le coup de sifflet final. Croyant que l’arbitre avait enfin renvoyé les deux équipes au vestiaire, le sélectionneur écossais bondit sur ses pieds pour aller saluer son homologue gallois... et se trouve instantanément frappé par une crise cardiaque foudroyante. Quelques minutes plus tard, le décès de l’une des plus importantes figures de l’histoire du football écossais fut prononcé dans la salle de soins de Ninian Park.

Le héros

Si l’Ecosse doit sa qualification pour Mexique 1986 au sang-froid de Cooper, le mérite de ce résultat revient évidemment à Jock Stein. Le jour de son dernier match, le technicien écossais avait décidé de ne pas prendre les diurétiques qui lui avaient été prescrits pour ses problèmes cardiaques, de peur de ne pas pouvoir donner le meilleur de lui-même sur le banc de touche. Le sélectionneur a finalement payé sa dévotion à son sport au prix fort.

Entendu...

"Je préfère essayer d’oublier cette journée. Sur le coup, je me souviens m’être dit qu’il n’avait pas l’air très en forme. Il n’était pas aussi mordant que d’habitude, quand nous avons pris notre repas ensemble. Pourtant, il était toujours aussi inspiré dans les moments décisifs. Il a commencé sa carrière en prenant de grandes décisions et il l’a terminé de la même manière... en me faisant sortir ! Nous étions menés 1:0 et celui qui me remplace marque le but de l’égalisation. On dit souvent que les gens vouaient un culte à Jock, mais c’est beaucoup plus que ça. Ils l’aimaient." Gordon Strachan, entraîneur du Celtic et ancien milieu de terrain de l’Ecosse "Je n’ai pas versé une larme avant d’être sur la route qui menait de Glasgow à Aberdeen. A ce moment-là, je me suis garé sur le bas-côté et j’ai craqué. Pour les gens comme moi, Jock était un précurseur. C’est lui qui nous a montré jusqu’où nous pouvions aller. Pourtant, il n’acceptait jamais les compliments. Il parlait toujours de ses joueurs et de leur talent. C’était lui tout craché, ça. Pour tous ceux qui voulaient en savoir plus sur le football, Jock Stein était une sorte d’encyclopédie vivante." Sir Alex Ferguson, entraîneur de Manchester United et ancien adjoint de Jock Stein

Et après ?

Quelque 12 000 Ecossais avaient fait le déplacement à Cardiff. Tandis qu’Alex Ferguson apprenait la triste nouvelle aux joueurs dans le vestiaire, les supporters abasourdis se sont rassemblés dans le silence autour du stade. Interviewé par la télévision, un homme a su résumer le sentiment de toute une nation : "Nous préfèrerions être éliminés et qu’on nous rende Jock". Finalement, l’Ecosse a bel et bien gagné son billet pour le Mexique, Ferguson menant les siens à la victoire (2:0) en barrage contre l’Australie. Par la suite, comme à son habitude, l’équipe au chardon a quitté la compétition dès la fin du premier tour... Quelques mois auparavant, des milliers de supporters anonymes s’étaient massés dans les rues de Glasgow pour rendre un dernier hommage à l’une des icônes du football écossais, une véritable légende dont les exploits n’ont pas fini d’alimenter les conversations.
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